Les Projets
paul oudin
Le Traité du Hasard
Le Traité du Hasard, trois volumes, 10 000 trèfles, 365 articles de lois, 1000 pages au total, présentoir en MDF, 2012
Le Traité du Hasard est un bien grand nom pour un projet qui n'a d'autre but que d'essayer de noter quelles sont les relations que nous entretenons au jour le jour avec cette notion. Je déplore la platitude de la phrase suivante, mais : Dans un monde qui tend vers le contrôle, quelle place laisse-t-on au hasard ? Le premier tome contient dix mille trèfles. En première page sont présentés les vingt à quatre, cinq ou six feuilles que j'ai trouvés, et qui masquent la masse de trèfles normaux qui ont été nécessaires à leur découverte. Statistiquement, il y a un trèfle à quatre feuilles tous les dix mille. À ceux qui me disent qu'alors j'ai eu de la chance d'en trouver autant, je réponds : passe dix heures à chercher des trèfles à quatre feuilles, et on verra combien tu en auras à la fin. En effet, il n'y a pas de hasard dans le fait que quiconque aide sa chance en aura plus que celui qui n'y croit pas. C'est la conclusion de ce premier tome.

Le second livre est un travail sur un an, impliquant directement l'aléatoire. Tous les jours, j'ai tiré au hasard, grâce à un système de dés, trois mots dans un dictionnaire. Cette matière première a été mise en scène sous la forme d'un article de loi par jour, contenant ces trois mots. Ces articles sont émis par l'Assemblée, l'organisme légal dirigeant une nation indéterminée, ainsi que les délibérations qui ont mené à cet article. Chaque page correspond à une journée, et au fur et à mesure, une narration se dévoile, et on voit évoluer peu à peu cette Assemblée, et sa réaction face à son peuple. Au final, que nous le voyons ou pas, que nous en ayons conscience ou non, le hasard régit une bonne partie de nos vies. Il faut faire avec.

Art. 328 : L'arraisonnement des nautiles ivres est désormais obligatoire.

Le troisième tome est blanc. Les pages sont blanches, il n'y a rien de marqué, rien d'imprimé, rien de collé dedans. Et pourtant il n'est pas vide. C'est le troisième de la série, ce qui implique qu'il vient après les deux autres. Celui qui le lit dans l'ordre logique des choses y verra la somme des deux précédant. J'espère que, confronté à ce blanc, cette absence apparente d'indices, il réussira à voir le message de ce livre, mais je ne peux l'y forcer en rien. "Suivez votre instinct". C'est, je crois, la meilleur chose à faire pour gérer des notions si complexes que celle-ci. J'ai appris à écouter mon instinct, et bien souvent, il est meilleur conseiller que la raison. D'ailleurs, à chaque fois qu'en cas de doute je suis ma raison, je fini par regretter de ne pas avor porté crédit à mon instinct.

On aimerait bien l'oublier parfois, ou le contrer. Chance et malchance ne sont que deux points de vue sur une seule et même notion : le hasard. Lorsqu'il nous est favorable, on l'appelle chance, quand il ne l'est pas, on lui préfère le terme de malchance. Mais la plupart du temps, il ne nous affecte en rien, n'est-ce pas ? Et comme il ne nous affecte pas, on ne s'en occupe pas. Il n'y a donc pas de mot pour dire que le hasard ne nous est ni positif ni négatif. Il est à la fois "nonchance" et "nonmalchance". De par le soucis de simplicité qui régit les lois du langage, appelons-le "nonchance". Je crois que nous avons désormais un terme pour chaque catégorie d'éléments fortuits.

Cette digression sémantique a permis, outre le plaisir de la définition d'un nouveau mot, de bien mettre en avant la transcendentalité de la notion de hasard, que nous avons dû morceler par le langage, afin de pouvoir embrasser la totalité du concept. De la même façon, j'ai dû morceler mon raisonnement en trois parties, et à chacune d'elle correspond un tome du traité.
Ce Traité du Hasard, je le considère comme faisant partie d'un vaste projet, qui avancera lentement, au fur et à mesure des besoins. En effet, je souhaiterais constituer une bibliothèque entière de livres manquants à la Bibliothèque de Babel de Borgès. "Manquants", car ils ne correspondent pas au système de la Bibliothèque. Ils ne jouent pas selon ses règles (quatre-cent dix pages par livre, quarantes lignes de quatre-vingt caractères par page, et vingt-cinq caractères possibles). "Manquants", car ce système, bien que capable de produire 251 312 000 livres, est pauvre : tous se ressemblent, et par définition, pour moi, systématisme est synonyme de pauvreté. Attention, je ne dénigre pas le systématisme, au contraire, c'est une méthode que j'apprécie beaucoup ! Mais pas pour sa richesse. L'exhaustivité est morne.

À VOIR AUSSI

¤ La Loterie de Babylone, Jorge Luis Borgès
¤ La Bibliothèque de Babel, Jorge Luis Borgès
¤ La Cité des Livres qui Rêvent, Walter Mœrs
¤ Jérémie Bennequin : Ommage à Proust
¤ On Kawara : One Million Year (Past & Future)